Une série de billets pour partager les premiers enseignements du programme Transitions² sur les relations entre innovation et écologie.
Lancé en juin 2016 dans le cadre du programme Transitions², le “défi” Innovation Facteur 4 explore une nouvelle forme d’innovation : une innovation dont la "proposition de valeur" intègre un impact écologique profond ("facteur 4", "zéro émissions/déchets etc.", "énergie positive" etc.), large (passage à l'échelle) et de long terme (robuste aux "effets rebond").
Porté par la Fing avec l'Iddri et Ouishare, et avec le soutien de l'Ademe et de Bpifrance, ce projet exploratoire se déroule de septembre 2016 à Mars 2017.
Cette série de billets propose de faire le point sur les premiers enseignements du projet à mi-parcours, mais aussi ses interrogations et les points sur lesquels il devra progresser en 2017 : nous lançons un appel à tous ceux que ce sujet intéresse, à venir travailler ce défi avec nous !
Nous n'avons jamais autant parlé de "Green Tech" qu'aujourd'hui. D'énormes sommes sont promises aux innovateurs qui s'en réclament (le Breakthrough Energy Ventures Fund annoncé il y a quelques jours par Bill Gates parle de milliards de $), des incubateurs (comme celui de Green Tech Verte en France lancé par le ministère de l'écologie) sont là pour accueillir les projets, des acteurs se fédèrent pour mettre en relation projets et investisseurs (comme le réseau des CleanTech Business Angels en France) ...
L'innovation "verte" a le vent en poupe. Mais assez pour réaliser les transformations nécessaires pour maintenir l'augmentation moyenne des températures sous les 2°C, sans même parler des autres enjeux comme le respect de la biodiversité, ? Et d'ailleurs, peut-on raisonnablement lui confier cette promesse ?
C'est peu probable. De nombreux travaux, comme ceux que nous menions dans l'exercice de prospective "Questions Numériques" sur les "Transitions" pointait bien les ambivalences entre les promesses du numérique (celles portées, notamment, par les "French Tech") et les enjeux incroyablement complexes des systèmes territoriaux, éducatifs, de mobilité, du travail... L'écologie n'y fait pas exception : il est plus raisonnable, pour réaliser les défis colossaux de la transition écologique, de miser sur une combinaison (certes particulièrement difficile à réussir) entre politiques publiques, changement de pratiques et innovation (technique, organisationnelle, d'usage, de modèle d’affaires...)
Si l'on se focalise sur l'innovation, et en particulier ce rapport entre innovation "verte" et innovation numérique, force est de constater deux choses.
D'une part, les d'innovation "vertes" ont significativement amélioré le bilan énergétique de nombreux secteurs, rendu viables plusieurs sources d'énergie renouvelable, etc. Mais elles n'ont pas pour autant infléchi de manière significative la courbe de croissance des émissions de CO2 . Dans l’ensemble, elles se focalisent plutôt sur l'efficience des ressources que sur des transformations qui bouleversent l'ordre établi ; leurs effets “comportementaux” restent modestes ; elles dépendent souvent de politiques publiques destinées à créer une demande.
D'autre part, les formes et dynamiques d'innovation (ouverte, agile, continue, collaborative, "écosystémique"...) issues du numérique démontrent régulièrement leur capacité de transformer de manière radicale, et irréversible des secteurs entiers, des métiers, des pratiques sociales, des territoires, qui plus est avec la participation d'une partie importante de la population… mais cette innovation continue de fonctionner comme si notre monde n'était pas fini ; son impact écologique n'est pas sa préoccupation centrale, ni même, en général, un objectif secondaire.
Bref, vis-à-vis de l'enjeu écologique, l'innovation joue correctement l'un de ses rôles historiques (améliorer la productivité, résoudre des problèmes...) mais pas l'autre (rebattre les cartes) !
Pour regarder le problème sous un autre angle, plaçons-nous dans la peau des dispositifs de soutien à l'innovation. Il nous semble, et c'est cette intuition que se propose de pousser le travail "Innovation Facteur 4", que les incubateurs, accélérateurs, fonds d'investissement,... savent aujourd’hui plutôt bien caractériser le caractère radical d’une innovation : change t-elle les marchés ? A t-elle un potentiel de croissance ? Croit-on dans l'équipe qui se propose de la porter jusqu'au marché ?
Mais qu’en revanche, ces acteurs se sentent moins outillés pour repérer et évaluer la dimension radicale d’un impact écologique ("Facteur 4", "zéro émissions/déchets etc.", "énergie positive"etc.).
C’est un manque, et c’est sur ce point que nous proposons de travailler.
Après quelques mois à tâtonner, nous proposons de donner une première définition d'une "Innovation Facteur 4", qui se focaliserait sur la radicalité de l'impact écologique, tout en présentant les caractéristiques d'une innovation "normale", avec son potentiel de marché, de croissance, de passage à l'échelle, etc.
- L'innovation Facteur 4 est d'abord une innovation : elle répond à un besoin ou résout un problème ; elle apporte quelque chose de neuf à ses destinataires ; elle différencie ceux qui la portent de leur concurrence ;
- Elle place au coeur de sa proposition des objectifs environnementaux explicites et crédibles, très ambitieux ;
- L’impact visé est à la fois profond (de type “Facteur 4”) et large (il peut passer à l’échelle d’une organisation entière, d’un secteur, d’un marché ou d’un territoire) - et son porteur se donne les moyens de vérifier qu’il sera atteint ;
- Le projet s’intéresse à ses impacts sur d’autres secteurs et domaines, ainsi qu’aux éventuels "effets rebond" susceptibles de limiter les bénéfices écologiques nets qu’ils entraînent.
Cette première définition établie, trois questions se posent alors :
1- Cette “Innovation Facteur 4” existe t-elle aujourd’hui ?
Pour nous, c'est le cas. L'objet du deuxième billet de cette série consistera à en donner des exemples, très divers.
2- Présente t-elle des spécificités par rapport aux projets “Green Tech”, ou qui relèvent de l’innovation numérique ou sociale à visée environnementale ?
Il nous semble que c’est le cas par bien des aspects : les projets “Innovation Facteur 4” portent la promesse d’un impact profond en matière environnementale (l’embout de robinet Nozzle promet 98% d’économie d’eau à chaque usage - et non pas 10 ou 20%) et large (ex : un Nudge vise le plus grand nombre pais sur une pratique précise). Nous reviendrons ultérieurement sur ces caractéristiques, qui ne sont pas toujours l'apanage des projets "Green Tech".
3- Sait-on aujourd'hui caractériser, repérer, soutenir l'Innovation "Facteur 4" ?
Beaucoup de projets qui incarnent cette innovation Facteur 4 sont aujourd’hui soit sous les radars des dispositifs de soutien à l’innovation existants, soit, quand ils sont identifiés, ils sont traités comme n’importe quels autres projets. C’est un problème et un manque. Or, nous aurons certainement besoin de telles innovations pour résoudre les défis de la Transition écologique.
Et vous, vous avez connaissance de projets qui répondent, de près ou de loin, à ce portrait robot de l' "Innovation Facteur 4" ?
Nous en avons identifié certains, ce sera l'objet du deuxième billet :